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Rue Aït Ben Hadou se tient une petite échoppe, où le souk ne règne pas, les marchandises, uniques, sont alignées à la perfection.
Sur la devanture, le vieux sablier d'antan marque le temps qui fuit, balayé par le souffle léger du Sirocco, charriant le feu désertique.
Assis sur un tabouret de traite, dos à la devanture marron chocolatée sur laquelle reflète en lettres laiteuses « La Casa Blanca » apposées sur un fond sableux, un artisan maroquinier s'attèle pour tarir l'objet en cuir de peau de chèvre, présent d'un chef touareg à une richissime musulmane.
Ophir a le visage martelé, tanné, par le temps et les réverbérations de Shama, le soleil. Avant, il allait d'oasis en oasis, troquer ses créations, mais depuis peu, portant le poids de l'âge et las de ses interminables traversées sahariennes, il a décidé de s'arrêter, là , à Isfoutalil, petit village à quelques encablures de Ouarzazate.
Comme à son habitude, l'artisan a la tête baissée sur son travail et il ne veut en découdre devant la terminer pour le soir à venir.
Assis en tailleur, face à lui, un enfant, 10 ans, est là , aucunement préoccupé par le brouhaha de ses pairs environnant, le regard subjugué par la beauté du geste précis et minutieux de l'ancien. Son visage infantile est illuminé de mille étincelles, sa prunelle est pétillante de plénitude et de joie, sa peau mate est brillante sous l'astral méridien. Il attend que l'artisan daigne scruter sa silencieuse présence, pour qu'enfin, d'un clin d'oeil autorisé, il puisse se rendre dans l'arrière-boutique.
Comme à son habitude, Touffik, ce garçon patient, s'est paré, pour l'occasion, de son burnous ivoire, le protégeant ainsi de la chaleur, et s'est emmailloté de son cheiche pour voiler sa chevelure, brune et abondante.
Pourtant, le vieil artisan sait que son petit-fils s'est posé devant lui, depuis quelques temps, mais il aime le voir languir à scruter ses mains habiles et généreuses. Le corps de l'homme est impassible à l'émotion dégagée par cette situation. Rien ne transpire, malgré la chaleur accablante, mais au fond de lui, brille un amour sans commune mesure pour sa descendance.
Puis, lentement, Ophir croise le regard enjolivé du gamin, lui lance un clin d'oeil averti, et Touffik ne se fait pas prier pour le rejoindre. Le drôle s'approche chaleureusement de son aïeul, lui rend hommage, sans mot dire, exquisant un large sourire radieux.
A ce moment-là , la complicité s'installe entre eux et Touffik suit son grand-père, l'allure encore soutenue, malgré sa sagesse avancée.
Tous deux vont dans l'arrière-boutique et s'installent l'un à côté de l'autre. Dans un silence de cathédrale, le garçon répète inlassablement les gestes que son aîné lui transmet. Touffik s'émerveille devant tant de méticulosité à découper le cuir, à coudre, à surfiler pour aboutir à une création, un chef d'oeuvre unique.
De temps à autre, son regard interroge l'ancêtre, et dans un mutisme profond et respectueux, le petit-fils capte l'oraison authentique sur le visage de son maître, l'un et l'autre étant sourds et muets de naissance.
Touffik, une fois son « oeuvrage »achevé, l'offrira à sa mère, à la conclusion de l'Aïd-al-Fitr …
Dernière modification par lamalice (30-01-2013 08:18:16)
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belle histoire sur la transmission inter générationnelle, l'artisant du cuir , mais cela aurait pu être n'importe quel metier
bien raconté ami
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C'est une jolie histoire qui nous fait voyager. J'avais l'impression d'être sur la terrasse d'un café (le café des délices...?), juste en face, et de contempler la scène. Merci pour cette petite escapade.
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question crétine: "l'un et l'autre" ça veut dire que les 2 sont sourds? tu mets "l'un et l'autre" entre virgules et pas de s a sourds, alors j'ai un doute
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Rien qu'à regarder on apprend beaucoup ! Comme à lire d'ailleurs !
Sympa ce conte !
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Nicole c'est bien "l'un et l'autre", les deux à la fois, et j'ai corrigé au pluriel sourd et muet .. Rien ne t'échappe, l'oeil encore averti et "Mère-spicace" !!!
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Ha Denis !!!!!
Une histoire comme je les aime !!! Pour le fond d'abord, la transmission du savoir, pour le climat, l'ambiance, le silence quasi religieux qui s'oppose au chahut que l'on connait trop, pour les situations et attitudes des personnages, la tension controlée chez l'enfant et la passion raisonnée chez le Grand Père, pour cette merveilleuse place que tu fais au métier manuel quand il devient art plutôt que simple source de profit. Pour la forme ensuite, des paragraphes courts, précis, clairs comme une photo. Pour la chute enfin, directe et imprévisible, mais tellement belle pour démontrer si besoin en été qu'une différence permet souvent l'éclosion d'un autrement du quel peut naître l'Art ... Denis, un grand bravo !!!!! Et Merci !!!
Vincent V
Comme à ton habitude, tu prends le temps de lire, comprendre, ... et dans le fond, tu y mets la forme pour répondre d'une façon généreuse, apporter ton éclairage, exprimer tes ressentis, qu'il soit positif ou négatif, peut importe, cela reste constructer ... et pour tout cela, je t'en remercie ...
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