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Le corps marqué, meurtri, de vallons en abysses,
D'une routine sans délices,
Vestige des coups bas du temps qui s'obstine,
Ses quelques cheveux gris dépassant fièrement d'un chapeau,
Il avance comme sur un champ de mines,
Battant la mesure de ses soubresauts.
Attention, canne devant !!!
Lentement, feintant une perte d'équilibre à chacun de ses pas,
Il marmonne entre ses dents des bribes de mots qui s'effondrent à peine quittés sa lèvre du bas,
Des bouts de sagesses pour des oreilles qui n'en peuvent plus d'écouter,
Jaloux d'une ivresse qui maintenant l'a asséché.
Il a fait de son handicap un monde de silence,
Il s'isole dans une bulle d'insolence,
En marge de ces personnes qui le désole : jeunes, drogués, fumeurs,
Décalés, buveurs,
Séropositifs, baiseurs,
Tout ce qui est collectif, rêveurs,
Insouciants, rappeurs,
Amoureux sur un banc aspirant à un futur déjà derrière lui,
Qui s'aspirent mutuellement, leur visage dans l'autre enfoui.
Miteux, obsolète,
Malheureux n'en faisant qu'à sa tête,
Grincheux, comme s'il s'agissait d'un petit remontant,
Il commence toujours ses phrases par : « Moi de mon temps… »
Et il avance, traçant sa déroute dans cette ère de démence qui ne lui convient plus,
Coûte que coûte toujours en perte de vue,
Il aire sous ses airs désertiques,
Drapé de son immense manteau noir de pervers hypothétique.
Ses yeux globuleux ne semblent même plus le supporter,
Voulant fuir ce visage craquelé, quitte à en mourir,
Ces globes oculaires, exorbités,
Ne lui renvoyant presque plus de sourires.
Jaloux, anxieux, aigri,
Envieux de la facilité d'aujourd'hui,
Encore là mais pour combien de temps,
Son passé est présent, son futur est absent.
Mais aussi dédaigneux et renfrogné qu’il soit,
Il fut mari, il est grand-père et toujours papa,
Il accuse le coup de cette époque qu’il considère comme un gaspillage où tout le monde est ivre.
Il repense à ces moments où se tournaient des pages alors qu’il arrive à la fin du livre.
Il est absent, aimant, sain d’esprit dans ce monde de fous,
Traitant des enfants qui manquent de le bousculer de petits voyous.
Perdu, distant, fan inconditionnel d'Yves Montand,
Comme un petit remontant, il commence inlassablement ses phrases par :
"Moi, de mon temps…"
Dernière modification par Ricow (14-05-2012 17:30:40)
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J'adore ton style Ricow ! Bonne idée et très bien écrite, décrite.
Merci.
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"C'est pas de vieillir qui est emmerdant, c'est que les autres soient jeunes"
Ah...la vieillesse est quelquefois un naufrage, tu en fais un dur portrait.... heureusement que des fois la tête s'en va, on ne se rend plus compte de rien
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nicole a écrit:
"C'est pas de vieillir qui est emmerdant, c'est que les autres soient jeunes"
Ah...la vieillesse est quelquefois un naufrage, tu en fais un dur portrait.... heureusement que des fois la tête s'en va, on ne se rend plus compte de rien
+1
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Merci MJ.
Nicole, j'en fait un dur portrait sur un exemple précis, un ancien voisin de palier aigri pour ses soucis, par le dureté de l'incapacité qui l'obligeait à rester immobile. Lorsqu'il se baissait, il était comme un playmobil.
J'en fait un dur portrait car sans prendre de recul, cette personne m'exaspérait, figé dans la bulle délimitée par son tabouret, avide d'absurdité et radin en sourire, mais je termine ce texte par un peu d'humanité, après m'être demandé comment je serais vieux et seul sans sourires.
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Je pense qu'on arrive à ce stade quand on est passé à côté de sa vie, de ses rêves ...
Alors on remet les autres en question ...
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Je me doutais bien qu'il y avait un exemple précis en te lisant... C'est vrai que les regrets et la douleur aigrissent et comme dit mma, on remet alors les autres en question, leur reprochant ce que l'on a raté...
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Il y a de "belles" images.
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