Forum Grand Corps Malade et slam

Étant donné l'ouverture d'esprit des réguliers de ce forum, de l'intérêt pour ce sujet et pour faire suite à d'autres discussions déjà tenues sur ce forum, permettez-moi de vous proposer ce texte.  Les perceptions ou les opinions peuvent différer, mais c'est toujours gagnant d'échanger et de s'exprimer slamicalement. Pierre K
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POÉSIE VERSUS PROSAÏSME
« Étant donné les distinctions radicales opposant la poésie (officielle) et ce que propose le slam de poésie, il semble évident qu’on ne peut éviter que, parfois, les « faire » se croisent…  Alors, les critiques et accusations pleuvent d’abondance sur le nouveau venu.  Si, en contrepartie, nombre de personnes se délectent des deux, il ne faut pas sous-estimer les risques de glissements et de dérapages que peut encourir la poésie.

La recherche de la poésie se fonde dans son étrangeté même – elle exprime un point de vue original (ou personnel) dans un langage détourné de sa fonction première.  En revanche, parce qu’il recourt au verdict populaire et immédiat (sans recul ni discussion), le slam de poésie, est menacée de voir le pari de plaire l’emporter le plus souvent.  Cela étant, la porte au prosaïsme, traitant de sujets d’actualité avec un point de vue partagée par la majorité, s’ouvrirait toute grande. Le résultat se situerait à l’opposé du fondement même de la poésie.  En définitive, si pour joindre un public plus large, la poésie doit revenir aux vers comptés et à la rime – confirmant ainsi les préjugés de ce même public -, pourrait-on vraiment considérer qu’elle en sortirait gagnante ?  Cela n’équivaudrait-il pas plutôt à une régression ?  Mais, ici, il y a beaucoup de « si » !  Comme je l’affirmais en introduction : le slam n’est pas une forme de poésie, mais un cadre de présentation particulier proposé à la poésie.  Au Québec, qui prend à ce sujet modèle sur la France, la notion de slam est confuse : on voudrait en faire un genre en lui-même.  On y voit une sorte de rap, qu’à l’instar de Grand Corps Malade, on appelle « slam ».  Tandis que chez les anglophones, on qualifierait plutôt l’exercice comme étant du spoken word ou du rap, réservant le terme « slam » aux joutes de poésie.  Mark (« So What! ») Smith, le créateur du slam poetry lui-même, n’emploie pas ce terme pour désigner ses disques.  Le dérapage d’appellation est unique à la France, dont les raisons demeurent à analyser par ailleurs…  On ne peut trouver un élément de réponse dans Blah ! – Une anthologie du slam :  « La différence entre une scène slam et une soirée de poésie, c’est que si tu dis que c’est une soirée slam, t’as dix fois plus de gens. »  Comme le mot « slam » accroche, en France, on se l’arrache, et en découle la confusion qu’au Québec, d’aucuns paraissent vouloir importer.  Notamment, certains médias québécois ont à maintes reprises présenté Abd Al Malik comme étant un slameur, alors que ce dernier se dit ouvertement rappeur !  Mais puisque la méprise est consommée en France et au Québec, admettons un instant qu’on puisse utiliser le mot slam à deux fins différentes : 1 – le slam de poésie (comme cadre compétitif offert à la poésie oralement transmise); 2- le slam comme genre de poésie, avec musique, qu’on pourrait tout aussi bien désigner sous l’appellation de rap.  C’est ce second qui, hypercodé, ait un retour obligé à la rime.  Tandis que le premier est ouvert à toutes les formes de poésie vivante qui lui sont compatibles.  S’il y a un effet de mode dans le monde du slam, c’est probablement du côté du slam en tant que genre…  Le slam de poésie (le cadre), quant à lui existe depuis plus de vingt ans.

Reconnaissons, par ailleurs, que la rime n’est pas totalement exclue en poésie, même chez les éditeurs officiels.  Non plus que le narratif ou le discursif.  Pourquoi ne pourrait-il pas y en avoir dans un slam de poésie ?  Ces procédés qui reviennent dans les pratiques sont librement sélectionnés par les poètes et n’opèrent plus dans l’ensemble des règles qui conditionnaient l’objet classique.  Ils s’inscrivent plutôt dans une création qui s’éclate en ouvertures, et se veulent participants actifs d’une démarche qui appartient bel et bien à la post-modernité.  D’un autre côté, les slameurs n’étant aucunement pénalisés s’ils lisent leur texte plutôt que de le dire par cœur, ne sont de ce fait nullement contraints de revenir aux vers comptés et à la rime, pourvu que l’ensemble soit exprimé avec force et qu’il y ait bien une rencontre avec le public.  Cela permet même de créer de l’inédit (de l’inouï?)  dans les rythmes, ainsi que dans les jeux de sons et de sens, situant la recherche dans les mêmes registres que la musique contemporaine.  Sans omettre qu’on peut également intégrer de la poésie sonore (ou s’en inspirer) et exploiter toutes les possibilités de la voix et de la bouche…  En slam de poésie, l’innovation a encore toute sa place : beaucoup de recours restent à explorer et les gens ne demandent pas mieux que d’être étonnés.  Si on y parvient tout en les touchant, ils sont conquis. »

Reproduit avec la permission de l’auteur André Marseau, organisateur de soirées slam à Québec. Extrait de « Slam ma muse » paru aux éditions CORNAC en 2008.
Voyez également le blogue de SLAM cap, pour de plus amples infos et/ou commentaires
http://slamcap.blogspot.com/

Dernière modification par Pierre K (09-03-2009 20:28:15)