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Un air me trotte dans la tête depuis plusieurs semaine. Une chanson plutôt sentimentale, évoquant le désir à demi-mot, reprise en duo par un chanteur à la voix douce comme du miel et un autre à la voix chaude et enivrante.
Cette reprise m'emmène sur un terrain plus sensuel à chaque écoute. Les mots glissent sur moi comme une caresse et provoquent un frisson de plaisir.
Lors d'un atelier d'écriture, l'idée d'utiliser cette chanson comme point de départ à mon texte s'est imposée à moi mais le carcan était trop étroit pour mon histoire. Je me débarrassai alors de toute contrainte. Il me fallait toutes les libertés pour raconter ma bleuette à l'eau de rose.
Je n'avais pas écrit autre chose que de la poésie depuis longtemps mais mon poète et sa montreuse d'ours m'obsédaient. J'ai donc commencé par planter le décor de mon amourette comme un scénario.
C'était une fin d'après-midi d'automne à Paris sur les quais du Canal St Martin, là où l'écluse des Récollets enjambe le canal, près de l'Hôtel du Nord. Il y a un petit square de chaque côté de l'écluse. Quai de Valmy, il y des cafés, des restaurants, des magasins, de la vie.
Les feuilles des arbres commençaient à prendre des teintes dorées, il faisait un peu froid. La nuit tombait.
Raconter une histoire d'amour près de l'Hôtel du Nord, c'est un peu cliché mais ici pas de drame en noir et blanc, pas d'Arletty ni de Gabin, trop rugueux. On serait presque dans une comédie musicale, Les demoiselles de Rochefort ou les Parapluies de Cherbourg, "Non je ne pourrai jamais vivre sans toi".
L'homme est un peu poète, un peu rêveur. Il marche sur le quai, le long du canal, il a froid, frissonne, rentre la tête dans les épaules, remonte son col et se dit "Quel temps de chien". - de la voix calme et enivrante de mon second chanteur, cette simple phrase prend une toute autre dimension- Il s'apprête à traverser le square pour rentrer chez lui pas très loin.
Sur un banc, une femme est assise. Elle porte un surprenant costume, un uniforme de parade rouge avec des boutons dorés et un petit chapeau penché sur une oreille. Elle semble songeuse et concentrée.
Curieux, l'homme s'assoit sur le banc voisin pour l'observer. Sans bruit, elle se met à battre la mesure avec son pied. Ses bras s'animent. Ils donnent des ordres à un partenaire invisible "Lève-toi, tourne, danse, tourne, danse encore, assieds-toi. Oui, c'est bien. Relève-toi, salue. Bravo ! Merci".
L'homme est un rêveur, alors il se laisse emporter par ces gestes étranges. Il voit un ours se lever, tourner autour de la montreuse d'ours, danser, encore tourner,… Elle fredonne une petite ritournelle pour accompagner la lourde danse de l'animal. Il se surprend à battre la mesure à l'unisson et à applaudir à la fin du numéro. Il lève alors les yeux et la voit debout devant lui, main tendue, une invitation. Ils engagent une valse lente de séduction sur l'air qu'elle fredonne encore "Que ton corps soit le mien, Que ma lèvre soit tienne" -une valse d'Erik Satie- L'ours évolue autour d'eux, les protégeant des passants curieux ; la scène est si étrange.
Elle penche la tête vers l'oreille du poète, lui murmure les mots de la chanson "Enlacés pour toujours, Brûlant des mêmes flammes…" Il l'enlace, l'embrasse, "Ange d'or, fruit d'ivresse,…" -C'est du Satie, c'est un peu suranné- L'étreinte ne dure qu'un instant, l'image de l'ours s'estompe. La valse est terminée. Le poète rouvre les yeux, la voit debout, elle quitte le square sans un regard pour lui. Il se relève, frissonne encore, remonte à nouveau son col, traverse l'écluse. Elle est là, elle l'a attendu "Je te veux…"
Sur l'écran noir de mes nuits blanches, moi je me fais du cinéma…
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Et la playlist :
Le Cinéma de Michel Legrand et Claude Nougaro par Ours et Grand Corps Malade
http://www.mytaratata.com/emission/tara … inema-2014
Les Parapluies de Cherbourg, Duo de Guy et Geneviève
www.youtube.com/watch?v=fCJoOGbYsng
Je te veux d'Erik Satie par Patricia Petibon
www.youtube.com/watch?v=-dMjpsJqDfA
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Bravo! Jolie titre, belle histoire onirique, décor bien planté, et tout est vivant.
j'ai plein d'échos dans un souvenir que j'ai...
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Un texte original agréable à lire avec un joli titre. J'aime bien aussi ta playlist. Michel Legrand, quel talent!
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Excellent !
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Merci !
Au fait, au départ, c'était pour l'atelier Il nous restera ça. D'ailleurs, on doit retrouver cinéma, ours, banc et peut-être d'autres.
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J'aime beaucoup ton texte, la fin me parle.
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C'est très beau
J'ai trouvé la chanson épilogue de mon histoire !
Charmant et désuet, j'adore
https://youtu.be/gk7hEh95zZc
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vu à la fin du décompte sur ma montre
joli texte et clin d'œil a Nougaro
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